Liberté d’expression et médias américains : pressions politiques et enjeux économiques
Lors du vol de retour d’une visite d’État au Royaume‑Uni, le président Donald Trump a renouvelé ses critiques envers les médias, évoquant la possibilité de retirer certaines concessions accordées à des chaînes jugées opposées à sa ligne et citant une information selon laquelle « certaines chaînes seraient à 97 % contre lui ».
Ce message sans détour semble avoir été entendu par les propriétaires de groupes médiatiques. Le New York Times a révélé que Bob Iger, PDG de Disney et propriétaire d’ABC, a pris personnellement décidé de suspendre l’animateur Jimmy Kimmel pour une durée indéterminée.
Par ailleurs, Stephen Colbert, critique de Donald Trump et dont l’émission sur CBS s’achèvera au printemps, a été licencié. Sur les réseaux sociaux, le président a ensuite braqué son attention sur Jimmy Fallon, présentateur du Tonight Show sur NBC.
Ces attaques ne s’en tiennent pas au domaine du divertissement : elles visent aussi plusieurs organes de presse majeurs. Trump poursuit ainsi le New York Times et le Wall Street Journal pour des montants jugés astronomiques et menace des journalistes en poste à la Maison Blanche.
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Le cadre constitutionnel face aux réalités économiques
Même si la liberté d’expression est garantie par le premier amendement, elle paraît de plus en plus influencée par les rapports de force entre pouvoir et capitaux privés. Lors de son investiture, Donald Trump avait promis d’ériger en principe la fin de toute censure gouvernementale et de restaurer une véritable liberté d’expression.
Elisa Chelle, professeure de science politique à l’Université Paris Nanterre, rappelle que « cette liberté n’est pas une expression égale pour chaque citoyen » et souligne qu’« il s’agit d’une arme que les partis utilisent pour faire prévaloir leur point de vue ». Elle ajoute que la réalité s’est imposée, et que les logiques économiques ont pris le pas sur les considérations politiques dans le paysage médiatique actuel.
Selon elle, le secteur est fragilisé par une concentration élevée : « 90 % des médias appartiennent à six grands groupes ». Ces structures, souvent engagées dans des transactions nécessitant l’aval du gouvernement, restent exposées aux pressions pour protéger leurs intérêts financiers et influencer l’opinion publique.
« Il ne faut pas confondre liberté et égalité dans une situation où des capitaux importants entrent en jeu et où des rapports de pouvoir visent à modeler l’opinion », résume-t-elle.
Sur le plan judiciaire, les grands groupes privilégient le règlement à l’amiable plutôt que des procès longs et coûteux, afin de préserver leur réputation et leurs profits. L’exemple emblématique est l’affaire Fox News contre Dominion Voting Systems, qui a donné lieu à un dédommagement de 787 millions de dollars.
Depuis, même des accusations non fondées peuvent faire peser une pression sur les chaînes, qui cherchent à limiter les dégâts financiers et réputationnels.